L’homme et l’univers sont interconnectés. Tout ce qui se trouve en haut se révèle aussi en bas, à notre niveau. Ainsi les hommes ont-ils établi des relations entre ces deux pôles, au travers des sciences et des croyances. Eprouvant une séparation avec le grand Tout, ils tentent de retrouver l’harmonie originelle, gage de félicité permanente. Les yogis sont maîtres dans l’art de rétablir le passage vers l’union tant par leurs connaissances des liens terre-ciel que par leur aspiration libératrice à migrer vers l’absolue Réalité.

  1. L’union des éléments

L’univers : quand la conscience et l’énergie se mêlent

L’univers est un mouvement perpétuel de manifestation et de désagrégation ; les créations émergent puis se dissolvent au rythme d’une pulsation dynamique, sans réel commencement ni fin. Un temps cyclique en deux phases de mouvement qui se succèdent sans fin: expansion et résorption. Ce processus sans cesse renouvelé perdure éternellement ; en fond de toile, un temps éternel d’immobilité : la conscience absolue AUM.  

Cette mesure éternelle est une expression d’amour qui, de flux en reflux, déploie sa beauté. Certaines Upanishads parlent de Purusha (Esprit) et Prakriti (Nature/matière), introduisant ainsi l’aspect masculin et féminin de la création. Pour les tantriques, c’est la danse éternelle de Śiva (Conscience immuable) et Śakti (Energie créatrice) qui enfante le monde.

Dans Le Banquet de Śiva, Christian Tikhomiroff décrit :

« Dans la danse du monde, Śiva illumine et spiritualise en permanence Śakti. […] Śakti révèle dans l’infinité des existences et des consciences la beauté et la grandeur de Śiva. […] L’une est la cause transcendante et l’autre la cause dynamique de la nature du monde. » (p.81).

Danse de Śiva et  Śakti

Śiva et Śakti sont deux états complémentaires, deux pôles opposés mais nécessaires à l’apparition de la vie. Śiva est la Conscience qui illumine et transcende la matière. Śakti est la force active, la conscience manifestée du cosmos, Nature primordiale qui fait le lien entre le macrocosme et le microcosme. Sa dimension cosmique est également établie en une dimension physique individuelle. L’homme a ainsi cette capacité à contempler en lui les forces de la nature, à s’émerveiller et à rendre hommage devant l’harmonie et la beauté de l’univers.

Lorsque les hommes ont levé les yeux au ciel

Le monde extérieur trouve sa réciprocité parfaite à l’intérieur de l’Homme. De tous temps et en particulier avec l’arrivée de l’astronomie, l’homme, en  quête de sens à donner à son existence, a cherché à établir des analogies entre lui et le ciel. Des correspondances s’établissement entre le visible et l’invisible, la manifestation plurielle et l’essence unique dans un élan nostalgique vers l’unité : la tête de l’homme est ronde comme la voûte céleste, il possède sept orifices comme les sept planètes du système solaire, deux yeux comme les astres du soleil et de lune… Le grand et le petit univers se réfléchissent.

Nicolas Copernic : auteur de l’héliocentrisme

L’encyclopédie Universalis parle du lien entre macrocosme et de microcosme en ces termes :

« La théorie selon laquelle tout se répond dans l’univers fait correspondre à la totalité (macrocosme) une infinité de « modèles réduits » (microcosmes) qui imitent d’une manière plus ou moins parfaite la richesse du cosmos. […]   Les philosophies antiques et médiévales en restaient au schéma de l’analogie et de la correspondance. Les philosophies de la Renaissance remplacent la notion d’image par celle de centre de forces. Et il s’agit alors pour l’homme-microcosme de conquérir la nature et l’immortalité, en s’imposant par ses œuvres et sa gloire. »

Ainsi, un changement de paradigme s’est opéré au cours des âges, l’homme ne se percevant plus seulement comme image de la nature mais comme force agissante sur elle ; il devient le centre …

L’homme découvre avec les sciences le symbolisme des nombres dans l’univers. La fréquence vibratoire des nombres est censée influer nos chemins de vies. La numérologie a fasciné autant les civilisations antiques que plus contemporaines et s’est largement basée sur les textes anciens. La Bible en particulier est féconde de nombres symboliques. Ainsi, le savant Philon d’Alexandrie (vers l’an 30 avant notre ère) avait interprété la Bible à travers la philosophie grecque et interprétait ainsi les nombres dans son traité de Propriétés des nombres:

« Le nombre est intimement uni à l’ordre, et, parmi les nombres, le six est le type de la génération d’après les lois naturelles. En effet, après l’unité, il est le premier nombre parfait … »

Toujours selon les théories de la numérologie, le nombre 1 est perçu comme l’unité antérieure aux Nombres. 2 est symbole de dualisme ; il est vie et mort, bien et mal. Il est à l’origine du mouvement. Le nombre 7 est la synthèse du monde divin et du monde humain car il est la somme du 3 représentant la Trinité et du 4 représentant le monde matériel. 12 est un nombre dit abondant, c’est à dire que la somme de ses diviseurs est supérieure au nombre lui-même.

De nos jours, les scientifiques tentent toujours de sonder le mystère de notre lien avec l’univers. L’astrophysicien David Elbaz et le neurobiologiste Alain Destexhe mettent en en parallèle l’organisation du cerveau et celle du cosmos en montrant des ressemblances entre la structure et le fonctionnement du cerveau et le ciel : cent milliards de neurones dans le cerveau humain et 100 milliards de galaxies dans l’univers… L’homme cherche à comprendre quel est sa place au sein de l’univers et quel sens revêt sa destinée. Entre angoisse et espoir, il désire percer ses origines et arpente des voies plus ou moins congrues pour appréhender et éclairer son existence.

Le zodiaque : trame céleste et trame natale

L’une de ses voies est l’étude du zodiaque, défini comme une zone circulaire de la sphère céleste dont l’écliptique (la trajectoire du soleil su cette voûte) occupe le milieu. On distingue le zodiaque astronomique composée de 13 constellations que le soleil traverse en une année et le zodiaque astrologique découpé en 12 signes astrologiques, chacun traversé par le soleil lors de sa course annuelle. Les constellations du zodiaque ne bougent pas, elles sont immuables tandis que les planètes sont toujours en mouvement. Ces polarités mouvement/immobilisme se reflètent dans la structure humaine : la construction du corps physique (membres, organes …) ne varie pas alors la sphère psychique et énergétique peut être soumise à diverses variations. L’étude du zodiaque est une entrée intéressante pour appréhender les liens entre la structure du cosmos et de l’homme, les deux s’interpénétrant et interagissant. Selon les astrologues, tout être incarné est soumis aux cycles, aux périodes et à l’espace du zodiaque. Sans pour autant s’assujettir à une impitoyable destinée, il est intéressant d’entreprendre un travail intérieur afin de nourrir en soi les potentialités constructives de son axe zodiacal et de forger une structure épanouissante et à l’unisson avec l’harmonie céleste.

Horloge astrologique

Chaque signe astral est relié à une voire deux planètes maîtresses et à chaque signe correspond une partie du corps – le maillage est déjà établi entre le corps physique et le corps universel. Au cours des siècles, les astrologues ont désigné des planètes, des dieux associés et leurs traits de caractère, de même que des métaux, des couleurs aux signes astrologiques. Cela a fortement influencé l’astrologie actuelle, celle de l’horoscope que l’on peut lire dans son quotidien !

Mais l’étude approfondie d’une carte natale apporte un éclairage plus pertinent. Sur un cercle de zodiaque, on peut observer la croix formée par le couple Ascendant/Descendant d’une part et Milieu du Ciel/Fond du Ciel d’autre part qui donnent des indications quant aux problématiques que l’homme, au cours de sa vie, rencontrera et aura à résoudre. Les nœuds lunaires sont aussi un champ d’étude éminent, en particulier pour l’astrologie védique (Jyotish), qui met en lumière la destinée symbolique de l’homme en lien avec l’harmonie du cosmos. Traditionnellement le nœud sud représente le karma accumulé, c’est-à-dire les tendances des incarnations précédentes mais aussi des bases qui servent d’appui. Le nœud nord offre à l’individu l’opportunité d’une prise de conscience de ces tendances passées et restrictives afin de pouvoir s’en détacher, voire les sublimer. Ces axes entre des signes opposés mais cependant complémentaires comme l’axe Bélier-Balance ou Taureau-Scorpion éveillent des forces primitives de telle ou telle nature, selon les nœuds, qu’il s’agira de transcender pour accéder à une vie plus en lumière et épanouissante. Ainsi par exemple, sur l’axe Lion-Verseau, l’être doit dépasser sa fierté orgueilleuse pour évoluer avec les autres.

Le zodiaque et en particulier les nœuds lunaires donnent une direction d’évolution personnelle et spirituelle rassemblant l’être à une dimension spatio-temporelle englobante et reliante.

2. L’Homme : une parfaite représentation de l’univers

L’Homme-ciel selon la tradition yoguique

L’Inde compte 30 millions de dieux comme autant de galaxies dans l’univers. Les dieux habitent le ciel et parfois descendent sur terre (e.g. les avatars de Viśnou). Comme les étoiles, ils donnent un repère de par leurs caractéristiques propres. Les trois grands dieux forment le Trimūrti, garant de l’équilibre de l’univers : Brahma conçoit, Viśnou préserve et Śiva par la destruction assure le renouvellement des mondes. Comme tout ce qui est dans le ciel a sa correspondance sur terre, cette trinité a aussi sa résonnance au sein de toutes les grandes religions et traditions spirituelles.

Le Trimūrti : Brahma, Viśnou et Śiva

Chaque dieu se compose de deux éléments actif/passif : l’élément mâle et son complément féminin, deux pôles de forces positives et négatives. Ils ont autant d’apparences que les traits de caractère de l’homme.  Selon la tradition hindoue et également yoguique, les divinités résident dans le corps de l’homme : Brahma habite le cœur, Viśnou réside dans le nombril, Śiva dans le milieu du front. Ainsi, les yogis considèrent que le corps est un véritable temple, un lieu sacré qui recèle une présence divine dont il faut prendre soin et soutenir. C’est par le corps que le yogi accède à une connaissance de soi et du Soi.

Pour les yogis, l’être humain est composé des mêmes éléments que ceux qui composent la terre et l’espace. Ainsi, il est constitué de 3 corps (structure tripartite encore !) et de 5 kosha (enveloppes) :

Shtula-Shahira le corps grossier est constitué des cinq éléments : La Terre (os; muscles), l’Eau (sang; circuits lymphatiques), le Feu (digestion; respiration), l’Air (oxygène), l’Ether (espaces du corps, matière subtile). Ils forment les gunas, les éléments constitutifs de la Nature régissant toute la création. Le corps physique est composé de cinq organes et de cinq organes d’action.                                                                    

Anna-maya kosha est le corps qui dépend de la nourriture (y compris l’eau et l’oxygène) et de la matière organique.

Sukshama-shahira le corps énergétique comprend l’énergie vitale et les canaux (nadi) assurant sa circulation, l’organe interne de réflexion se partageant en manas (mental), buddhi (raison), ahamkara (sens de l’égo), citta (intelligence) et caitanya (réflexion personnelle).                     

Au sein du corps énergétique, Prana-maya kosha est le corps d’énergie vitale (Prana) qui nourrit les cellules et assure la santé du corps physique. Mano-maya kosha est le corps mental (manas) et sensoriel (sensations, émotions, peurs).                                                                      

Vijnana-maya kosha est le corps d’intellect et d’intuition qui produit la connaissance discriminante.

Karana-shahira le corps causal est un niveau spirituel se reliant à la félicité et la joie. Ananda-maya kosha est le corps de lumière et de béatitude.

Tout comme l’univers est une véritable toile tissée d’étoiles, de planètes, d’astres et d’espace, l’homme possède également tout un réseau de circuits (on compte traditionnellement 72 000 nadi) par où s’animent et circulent les énergies. L’homme a également en lui les astres lunaires et solaires dont les énergies respectives sillonnent ida et pingala nadi.

Par la pratique du yoga, l’énergie circule harmonieusement dans les tissus et les 5 kosha. L’homme explore ces différents espaces et peut établir une correspondance avec les éléments du cosmos.

Yoga Marga : l’élan vers l’union cosmique

De même qu’une plante sort de terre, érige sa tige vers le ciel et s’épanouit au soleil, l’homme mène une ascension du plus grossier au plus subtil ; il éveille, maîtrise sa puissance vitale et psychique et canalise sa conscience individuelle jusqu’à parvenir à son union avec la conscience universelle. Cette ascension passe par six ou neuf centres ou « roues » d’énergie appelés chakra et situés le long de la nadi centrale sushumna.

Christian Thikomiroff décrit ainsi ce processus et sa finalité :

« Les neuf chakra … jalonnent le chemin et les expériences qui attendent le yogin dans son périple le conduisant du visible à l’invisible, de la terre à l’Absolu. Ils sont les espaces où se trouvent les puissances dans lesquelles il va entraîner tout son être, obtenir la force et la pureté lui permettant de remonter à contre-courant la manifestation universelle. » (p.54)

Les nadi et les chakras

Ces 6 chakras principaux entrent en résonnance avec des planètes et les deux astres du système solaire. A chaque chakra est attribuée une figure géométrique symbolisant le principe actif du chakra concerné et son analogie avec un élément de l’univers. Le carré représente la terre, le demi-cercle fait référence au croissant de lune, le triangle fait référence à la production d’énergie, l’hexagone symbolise la structure de l’univers, le cercle l’immensité et le lien entre macrocosme et microcosme, le cercle avec un point le soleil et la capacité à transformer par l’alchimie. A chaque chakra est associé un son, bija, ou le pranava OM, phonème monosyllabique présent dans la conscience de l’homme comme une mémoire archétypale de l’univers. Associé au verbe créateur, Vak, ces germes ont un pouvoir de création et de conscientisation important.

CHAKRA PLANETE ASSOCIEE FIGURE GEOMETRIQUE BIJA / PRANAVA
Muladhara Saturne Carré LAM
Svadhisthana Vénus et la lune Demi-cercle tourné vers le haut VAM
Manipura Mars Triangle pointe vers le bas RAM
Anahata Soleil Hexagone et cercle YAM
Visuddha Vénus Cercle et un point HAM
Ajna Mercure Pleine lune OM

Union, séparation et passage

Il fut un temps où l’Homme et son environnement vivaient en parfaite affinité. L’homme avait connaissance des lois naturelles, suivait les enseignements de la vie et entretenait des liens harmonieux avec son environnement. Il participait ainsi à l’équilibre universel (Dharma).

Mais plus tard, se figurant au centre de l’univers, empêtré dans le jeu de l’égo et de l’identification, l’Homme moderne s’est coupé de ce lien intime avec la nature jusqu’à l’oublier. Prisonnier du Samsara (cycles de renaissances), dispersé, tourmenté, divisé par la vie moderne, l’homme est en souffrance et tente de retrouver cet état d’harmonie et son axe de réalisation. Les pratiques holistiques telles que le yoga amènent l’adepte à éclaircir sa faculté d’observation, à affiner sa perception du monde et à transformer, plus ou moins radicalement, son mode d’existence. C’est une voie d’éveil pour épouser de nouveau la Conscience ; l’entreprise demande volonté, courage, abnégation et une belle flamme intérieure, car le désir et l’amour sont à l’origine de tout. Nous avons décrit plus haut le processus d’évolution du yogi dont l’énergie spontanée Kundalini, une fois activée, va remonter le long du sushumna nadi en passant par les différents chakras. Le long de cette ascension, le yogi reconnaîtra leurs aspects et leur rôle sur les plans physiques, énergétiques et causal. Il en tirera une connaissance, non pas personnelle, mais intégrale quant à la carte du monde et son propre fonctionnement. Pour l’aspirant, il s’agit de trouver sa place au sein de ce plan global (macrocosme) comme sur le plan individuel (microcosme).

Le long de cette quête vers sa destinée, l’homme passera par des étapes fondamentales, au travers de nœuds existentiels que nous appelons granthi. Christian Tikhomiroff les décrit ainsi :

« Il en est de même pour l’espèce humaine qui possède trois granthi fondamentaux reliés aux personnalités : la personnalité animale, la personnalité psychologique et la personnalité spirituelle. Pour l’humain, ces trois granthi symbolisent ce que chacun doit comprendre et dénouer dans sa vie pour transcender les conditionnements de l’espèce et accomplir son destin spirituel. Chaque granthi a un fonctionnement double. Soit il asservit l’individu à l’espèce, soit il le libère. »(p.58)

Les granthi cristallisent les croyances, peurs et blocages archaïques de l’humanité, les conditionnements et tensions depuis l’enfance. Ces points de friction sont non seulement estampés en l’homme mais également, sur un plan universel, dans l’espace Akasha où tout s’imprime et tout se réfléchit. Ainsi, dénouer ces nœuds est loin d’être une affaire anodine car son action individuelle se répercute sur un plan beaucoup plus vaste. Notons qu’à chaque granthi est attribué une divinité, comme un appel à dépasser sa nature primaire pour s’élever dans des sphères plus subtiles.

Le premier noeud, Brahma granthi se situe dans Muladhara chakra et correspond à l’attachement à la vie, l’enracinement, la jouissance du moi au travers des sens, et à la peur de la mort. Dénouer Brahma granthi permet de dépasser ces peurs et de contrôler les cinq sens ; on prend ainsi conscience de l’illusion d’un moi séparé du Tout.

Le deuxième nœud, Viśnou granthi se situe dans Anahata chakra et est le centre des attachements émotionnels (affectif, position sociale …) et des passions. Ces dépendances emprisonnent, assèchent le cœur.               

Délier Viśnou granthi permet de dissoudre l’égo et de faire l’expérience d’un amour reliant sans cesse l’intérieur et l’extérieur comme un fluide continu. Siège de l’amour, c’est l’épanouissement altruiste de l’être.

Viśnu granthi : le nœud du coeur

Enfin, le troisième nœud, Rudra granthi dans Ajna chakra est lié au  monde des pensées, des idées et des intuitions. C’est l’attachement aux justifications et aux certitudes, à la peur de la folie. On se libère de ces liens en transcendant l’intellect à l’aide de l’intuition et en accédant à une conscience de la Vie.  

Le déblocage des granthi est un travail délicat qui engendre de profonds changements tant sur le plan mental que spirituel. Il s’agit de réaliser son axe de vie, débarrassé des scories limitantes et asservissantes de l’égo, pour renouer avec son être spirituel – en vibration continue avec son environnement, en échanges harmonieux avec les énergies cosmiques.

La reliance des Natha Yogi

Dans la voie du yoga, les chemins sont multiples. Selon son tempérament, on pourra suivre une pratique ascétique, à l’écart du monde, synonyme de tentations et de déceptions. C’est le choix du renonçant errant ou bien vivant en communauté dans un ashram. Le Natha yogi qui épouse la voie tantrique shivaïte vit dans le monde dont il fait son champ d’exploration et d’expérience. Souvent il travaille en ville et a une vie de famille. Sa pratique est solitaire mais il retrouve ses semblables pour des rituels. Le Natha yogi cherche l’invisible dans le visible, le vide dans le plein, l’immobilité dans le mouvement, l’inaction dans l’action. Toute expérience peut être source de transcendance et d’expansion de la conscience car, pour lui, le monde ici-bas est le reflet d’un plan supérieur. Le Natha yogi perçoit les signes qui traduisent en lui l’éveil de l’énergie en lui et les symboles qui le relient à la source du Soi et de l’univers. Ainsi, Christian Tikhomiroff décrit :

« Pour un yogin c’est une expérience de transcendance différente de toute expérience objective, fût-elle normale ou anormale, mais ce n’est jamais la négation de l’expérience. … Quand un yogin revient au plan ordinaire après une telle expérience, la profondeur des empreintes laissées produit un état de bonheur, de légèreté et de lumière dans sa conscience ordinaire. Il perçoit tous les êtres et tous les évènements avec équanimité, son cœur s’est libéré de ses attaches égotiques. » (p.37)

Matsyendranath

La démarche du Natha yogi est de se construire un axe autonome sur lequel se baser pour appréhender le monde de son époque, harmoniser son être, en se dépouillant notamment des rôles égotiques de la personnalité, et s’installer davantage en sa nature propre. Par des prises de conscience, il s’affranchit de tout système duel – autant phénoménal que psychique – qui le maintenait dans l’expérience de la séparation pour réintégrer et demeurer dans l’état de complétude et d’unité avec la conscience absolue. Une liberté comme un second souffle, une renaissance, qui conduit vers un espace de vibration où tout entre en correspondance bienheureuse : tout résonne en accord, la pluralité fait la cohésion ; le souffle de l’univers, tout intégrant et tout engendrant, se perpétue d’amour.

                                                                                       Emillie SERVET